En plus de la lutte contre le fentanyl et les produits chinois, j’ai appris lors d’un récent webinaire offert par Deringer Courtiers en douane que le Customs Border Protection (CBP) accroîtra, dans les prochains mois, les vérifications de l’éligibilité de vos aliments (et autres produits) à l’entente de libre-échange Canada, États-Unis, Mexique (ACEUM).

Conséquences des vérifications accrues

Si vous êtes choisis (ce que l’on préfère éviter), vous devrez fournir la recette de votre produit agroalimentaire à la douane américaine. Pour chacun des ingrédients, vous devrez spécifier le code SH, le pays d’origine et la valeur.

En fonction de cette recette, vous devrez expliquer à la douane en quoi votre produit est éligible, c’est-à-dire, en quoi il respecte les exigences de la règle d’origine qui s’applique à son classement tarifaire (code SH).

Éligibilité des produits

Je vous entends argumenter en lisant ceci : « Mais voyons donc, notre aliment est produit ici au Canada, donc, d’emblée nous avons le droit de faire le certificat d’origine. » Et bien non!

Le fait de produire vos denrées alimentaires sur le territoire canadien ne fait pas de ces aliments des produits éligibles à l’ACEUM. Plus encore, ces produits ne sont pas considérés « automatiquement » canadiens.

D’ailleurs, que vos produits soient éligibles ou non à l’ACEUM, la douane américaine applique le principe de la transformation substantielle pour déterminer le pays d’origine à déclarer.

Règles d’origine et marquage

Exemples concrets

1er exemple : Queues de homard congelées exportées aux États-Unis

Dans l’entente ACEUM, la règle du critère A, qui réfère aux produits de ressources naturelles, dit qu’un produit est éligible s’il est entièrement obtenu sur le Territoire (lire ici, le territoire de l’Amérique du Nord, composé du Canada, des États-Unis et du Mexique). Entièrement obtenu veut dire matière et production.

Voici le cas :

  • Vous transformez du homard vivant pêché aux États-Unis (produit américain), ici au Canada. Voici un résumé des étapes :
    • La queue est séparée du homard entier.
    • Elle est nettoyée et mise au trempage dans l’eau pour quelques heures.
    • Ensuite, on la classe en fonction de son poids.
    • On la présente façon papillon.
    • Elle est congelée, emballée, et prête à être exportée aux États-Unis.

Aucun ingrédient n’a été ajouté et le produit n’a pas été mis en saumure durant la transformation au Canada. La douane a statué que les queues de homard étaient bel et bien des produits entièrement obtenus sur le Territoire et donc deviennent éligibles à l’ACEUM. L’exportateur canadien a le droit de faire un certificat d’origine pour sauver les frais de douane, en l’occurrence dans cet exemple, les redevances douanières appelées « mpf fee – merchandising processing fee ».

Je vous invite à lire cette décision américaine qui a servi de référence à mon exemple : Ruling N315707.

Maintenant, la question est : est-ce que le produit ainsi transformé au Canada devient canadien? Le pays d’origine doit être inscrit sur la facture commerciale pour le dédouanement. Il doit être marqué aussi sur les emballages des produits et de l’expédition. Donc c’est une question capitale! Une erreur peut engendrer d’onéreuses pénalités.

Dans les décisions citées précédemment, la douane américaine a confirmé que les queues de homard sont éligibles à l’entente de libre-échange. Pour ce qui est de la déclaration d’origine et du marquage « made in », la douane a expliqué que le produit est canadien pour les fins de douane mais qu’il est américain pour les fins du marquage! Pas simple, n’est-ce pas?

2ème exemple : une bisque de homard produite au Canada et vendue aux États-Unis

Vous produisez une bisque de homard en conserve ici au Canada. Vous voulez savoir si votre bisque est éligible à l’entente de libre-échange avant de faire un certificat d’origine et courir le risque d’avoir une pénalité.

Vous devez suivre les étapes suivantes :

  1. Vous devez trouver le code SH de la bisque, à l’aide du Tarif des douanes. La bisque est classée sous le 2104.10 (portion internationale du code SH). Des droits de douane de 3,2 % + des frais mpf sont applicables aux États-Unis si votre bisque n’est pas éligible.
  2. Vous devez vérifier la règle d’origine du 2104.10. Cette règle exige un changement de chapitre (2 premiers chiffres du code SH) entre chacun des ingrédients et la bisque. La bisque est classée au chapitre 21 (2 premiers chiffres de son code 2104.10). Il faut donc que tous les ingrédients à l’intérieur de la recette soient classés dans d’autres chapitres que le 21.

Liste des ingrédients (recette) :

  • Chair de homard congelée – chapitre 3 (SH : 0306.12)
  • Eau – chapitre 22 (SH : 2201.90)
  • Concentré de crème 10 %, en poudre – chapitre 4 (SH : 0402.21)
  • Oignons hachés congelés – chapitre 7 (SH : 0710.80)
  • Pâte de tomates – chapitre 20 (SH : 2002.90)
  • Sel – chapitre 25 (SH : 2501.00)
  • Poivre – chapitre 9 (SH : 0904.12)
  • Assaisonnement mélangé, goût de fruits de mer – chapitre 21 (SH : 2103.90)

Tous les ingrédients subissent le changement de chapitre exigé par la règle, sauf l’assaisonnement mélangé, qui est classé au même chapitre que la bisque, c’est-à-dire le chapitre 21.

À première vue, la bisque n’est pas éligible à l’entente de libre-échange. Donc, un certificat d’origine n’est pas permis. Les droits de 3,2 % et les frais mpf sont payables à l’entrée aux États-Unis.

Par contre, si l’assaisonnement est d’origine nord-américaine (CA, US ou MX), et que vous obtenez un certificat d’origine valide de votre fournisseur, cet ingrédient devient originaire et n’a plus à changer de chapitre. Ce qui veut dire, pour un tel scénario, que votre bisque est éligible.

Si le pays d’origine de l’assaisonnement mélangé est autre que le Canada, les États-Unis ou le Mexique, il reste une dernière option à vérifier : la règle de Minimis. Si l’ingrédient ou les ingrédients non-originaires valent moins de 10 % du prix de vente du produit fini (prix de vente aux États-Unis), vous pourrez alors faire un certificat d’origine et épargner les frais.

Conclusion

C’est exactement l’analyse que vous devrez faire si la douane vous choisit pour une vérification ACEUM. D’ailleurs, je vous encourage à analyser tous vos produits vendus pour l’exportation en Amérique du Nord et ce AVANT de les exporter ou d’être audités.

Un certificat d’origine qui vous a permis de sauver les frais de douane et qui serait déclaré non admissible par le CBP résulterait en une pénalité de plusieurs milliers de dollars. De plus, la douane vous réclamerait les droits et frais mpf des cinq dernières années pour tous les produits trouvés non-éligibles.

Il faut donc être prudent et consacrer du temps et des ressources afin d’éviter ces situations fâcheuses.

Bonne analyse!

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